Le Vent se Lève
(The Wind that shakes the Barley)
Un film de Ken Loach
Avec Cillian Murphy, Padraic Delaney, Liam Cunningham, Orla
Fitzgerald, Mary O’Riordan…
Ken Loach, bien souvent associé au cinema dit “social”, nous rappelle ici qu’il est aussi un cinéaste de l’Histoire. Après Land of Freedom, où il s’intéressait à la guerre d’Espagne, il a tourné son regard vers le pays voisin du sien, l’Irlande et vers une époque qui a marqué et marque encore aujourd’hui profondément les deux pays.
Palmé à Cannes cette année, Le Vent se lève raconte la révolte irlandaise contre l’oppresseur anglais, au début des années 20.
Humiliés, battus, exécutés sans raison, ils se révoltent en prenant les armes, en choisissant la clandestinité, les exécutions à leur tour, tant dans leurs rangs l’armée anglaise présente.
Ce sont des destins que filme Loach, des destins d’enfants ou de jeunes adultes, n’espérant plus rien mais leur libération, leur démocratisation, au prix de leur vie, au prix du sang versé dans la campagne irlandaise. Des destins filmés linéairement, pour permettre aux comédiens de mieux s’imprégner de leur personnage, de ressentir les émotions les plus vives, de grandir avec eux, et de mourir avec eux également.
La fraternité, l’amour, la raison et la déraison de la guerre, la passion, la trahison, le nouveau film de Loach balaye tous ces thèmes en accordant à chacun une place importante, sans s’attarder sur le contexte politique extra-territorial mais en regardant, à travers la caméra, ces hommes et ces femmes dévoués à une cause, celle de la liberté, de la démocratie.
Que celle-ci peut être faible parfois face aux armes, y compris entre les irlandais eux-mêmes. Là où la révolte cesse enfin, un autre feu s’allume plus au nord, blessant l’Irlande à jamais, la scindant en deux parties « étrangères » pourtant unies par le même sang.
Cillian Murphy, jeune comédien de 30 ans, incarne Damien, d’abord promis à un avenir de l’autre côté, à Londres, avant de réaliser l’injustice et la brutalité d’une situation sans espoir. L’acteur crève l’écran de bout en bout et forme avec Padraic Delaney un duo fraternel épatant, qui domine le film et son propos, transcendé par la composition des deux comédiens.
Malgré quelques longueurs, Loach atteint son but, celui de nous faire regarder le conflit anglo-irlandais, même dans sa période la plus calme aujourd’hui, sous le regard irlandais, et non plus sous le regard anglais.
Comme Paul Greengrass l’avait remarquablement évoqué avec Bloody Sunday, évocation sans concession et sans artifices du massacre commis par l’armée britannique, le vent se lève parfois sur les contrées paisibles d’Irlande et malheureusement ne sème pas seulement derrière lui la paix, mais aussi le sang et la mort, que l’on ne dissocie malheureusement guère des conflits pour la liberté et la démocratie.
Une Palme d’Or méritée pour Ken Loach, récompensant un cinéaste britannique pour un film juste et sincère sur l’Irlande. C’est peut être cela le plus frappant dans cette œuvre, qu’un cinéaste renommé mais pourtant confidentiel dans son pays puisse saisir avec justesse et honnêteté les souffrances du peuple irlandais et sa révolte.
Une œuvre qui n’est pas anodine dans la filmographie de Ken Loach, qui montre une fois de plus, que son talent ne se limite pas à filmer avec dureté le dénuement humain et les difficultés sociales. C’est sans doute cela le grand cinéma.
Arnaud Meunier
25/08/2006